Répression pénale du droit de la concurrence : établissement de liens institutionnels entre le Parquet national financier et l’Autorité de la concurrence

Concurrence et distribution

Le 23 février 2022 Par Jérémy BERNARD

Nouvelle étape dans la répression pénale du droit de la concurrence : établissement de liens institutionnels entre le Parquet national financier et l’Autorité de la concurrence

Dans sa Synthèse 2021, présentant son activité durant l’année 2021, le Parquet national financier (PNF) révèle avoir, à la suite de l’extension de sa compétence pour y inclure le droit pénal de la concurrence, établi des liens institutionnels avec l’Autorité de la concurrence sans donner le détail de ces liens.

1. La dépénalisation du droit français de la concurrence a débuté avec l’article 17 loi n° 77-806 du 19 juillet 1977 relative au contrôle de la concentration économique et à la répression des ententes illicites et des abus de position dominante lequel a donné au ministre chargé de l’économie un pouvoir de répression administrative des pratiques d’ententes anticoncurrentielles et d’abus de position dominante. L’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence a amplifié cette dépénalisation en confiant la répression des pratiques anticoncurrentielles, à savoir les ententes anticoncurrentielles, les abus de position dominante et les abus de dépendance économique, à une autorité administrative indépendante dénommée Conseil de la concurrence et depuis devenue l’Autorité de la concurrence.

2. Toutefois, la dépénalisation à laquelle l’ordonnance du 1er décembre 1986 a procédé ne fut pas totale puisque son article 7 conservait une touche pénale au droit de la concurrence en instituant un délit de participation frauduleuse, personnelle et déterminante à la conception, l’organisation ou la mise en œuvre d’une pratique anticoncurrentielle. Cette disposition fut reprise dans le nouveau Code de commerce institué par l’ordonnance n° 2000-912 du 18 septembre 2000 relative à la partie législative du code de commerce, à l’article L. 420-6 de ce nouveau Code. Son champ d’application fut même étendu par l’article 3, I, 4° de la loi n° 2016-1920 du 29 décembre 2016 relative à la régulation, à la responsabilisation et à la simplification dans le secteur du transport public particulier de personnes.

3. A ce jour, l’article L. 420-6 du Code de commerce réprime de quatre années d’emprisonnement et/ou d’une amende de 75 000 euros le fait, pour toute personne physique de prendre frauduleusement une part personnelle et déterminante à la conception, l’organisation ou la mise en œuvre d’une entente anticoncurrentielle visée à l’article L. 420-1 de ce même Code, d’un abus de position dominante ou d’un abus de dépendance économique interdit à l’article L. 420-2 dudit Code, ou de l’une des pratiques concertées ou unilatérales en matière de prestations de transport public particulier de personnes prohibées par l’article L. 420-2-2 de ce Code.

4. Cependant, cette disposition a très peu été utilisée par les parquets comme fondement à des poursuites et appliquée par les juridictions répressives pour condamner des prévenus, en dépit des signalements effectués par l’Autorité de la concurrence sur le fondement de l’article 40 du Code de procédure pénale.

5. C’est sans doute la raison pour laquelle l’article 13 de la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée a modifié l’article 705 du Code de procédure pénale pour inclure l’article L. 420-6 du Code de commerce dans la liste des infractions contre lesquelles le Parquet national financier a compétence pour engager des poursuites, sur lesquelles les juges d’instruction spécialisés en matière financière du Tribunal judiciaire de Paris peuvent instruire et que ce Tribunal a la mission de réprimer. Cette compétence du Parquet national financier et du pôle financier du Tribunal judiciaire de Paris est concurrente de celle des parquets, juges d’instruction et tribunaux judiciaires territorialement compétents. Le Législateur cherchait en effet à « assurer la meilleure efficacité possible dans la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles» et à « permett[re] un traitement centralisé et spécialisé de ce contentieux complexe» (projet de loi relative au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée, exposé des motifs).

6. Se saisissant de cette nouvelle compétence, le Parquet national financier et l’Autorité de la concurrence ont mis en place des liens institutionnels dont l’existence a été rendue publique par le premier dans sa Synthèse 2021. Sans en dévoiler les détails, le Parquet national financier s’est limité à préciser que ces liens sont destinés à coordonner l’intervention des deux institutions avec pour « objectif partagé d’assurer efficacité et cohérence au traitement des contentieux administratif et pénal, notamment sur le plan des sanctions» (Parquet national financier, Synthèse 2021, p. 14).

7. La Synthèse 2021 du Parquet national financier ne mentionne pas l’existence d’une coopération institutionnelle équivalente avec le Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (ci-après la « DGCCRF») alors que celle-ci dispose d’une compétence concurrente de celle de l’Autorité de la concurrence pour initier et mener des enquêtes de concurrence, mais pas pour réprimer les pratiques anticoncurrentielles hors les micro-pratiques anticoncurrentielles (dites « micro-PAC »). Là est sans doute la raison pour laquelle le Parquet national financier a vraisemblablement cherché à nouer prioritairement des liens avec l’Autorité de la concurrence : celle-ci est le principal organe de répression administrative du droit de la concurrence. L’on ne peut qu’appeler à la mise en place d’une coopération institutionnelle entre le Parquet national financier et la DGCCRF dans un avenir proche.

8. L’établissement de liens institutionnels entre le Parquet national financier et l’Autorité de la concurrence est-il le signe d’un prochain accroissement des poursuites sur le fondement de l’article L. 420-6 du Code de commerce ? La tendance mondiale étant depuis peu à la (re)pénalisation du droit de la concurrence pour renforcer l’efficacité de la répression et son caractère dissuasif, l’on peut anticiper de futures procédures pénales contre les pratiques anticoncurrentielles en France. Ce mouvement risque néanmoins d’être limité à raison des faibles moyens dévolus à l’appareil judiciaire français.

Jérémy Bernard
Jérémy BERNARD Avocat associé

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