Exclusion d’associé et valorisation des parts par expert : précisions jurisprudentielles

Droit des sociétés

Le 30 septembre 2020 Par Benoît LAFOURCADE

L’apport jurisprudentiel de précisions utiles sur le recours à l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil
Cass. Com 07/07/2020 n°18-18.190 et 18-18.192 F-D, C. c/ Sté civile des Mousquetaires


Les deux arrêts de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 7 juillet 2020, rédigés en des termes identiques, sont une nouvelle manifestation de l’important contentieux intenté par la société civile des Mousquetaires (groupement Intermarché) en matière de tierce estimation des droits sociaux prévue à l’article 1843-4 du Code civil.

En l’espèce, un associé de la société civile a été exclu en 2011 par une décision de l’assemblée générale fixant, par la même occasion, la valeur de remboursement unitaire de ses parts sociales. Cet associé conteste cette valeur et obtient, sur le fondement de l’article 1843-4 du Code civil, la désignation en justice d’un expert chargé de procéder à cette évaluation.

Pour rappel, l’article 1843-4 du Code civil modifié par l’ordonnance 2014-863 du 31 juillet 2014 impose en cas de contestation de recourir à l’expertise pour fixer le prix de cession des droits sociaux d’un associé. L’expert compétent en application de cet article peut être désigné soit par les parties, soit à défaut d’accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible. A ce titre, il convient de préciser que le recours à l’expertise prévue à l’article 1843-4 n’est possible que lorsque :

En l’espèce, un expert a procédé à une évaluation jugée erronée par la juridiction de première instance qui a annulé le rapport produit au motif qu’il n’avait pas tenu compte des dispositions contractuelles consenties par l’associé exclu pour fixer la valeur de ses parts sociales. En conséquence, l’associé exclu a demandé le remplacement de l’expert devant le président du tribunal de grande instance.

Sa demande est d’abord rejetée par ce dernier au motif qu’elle n’entrait pas dans son champ de compétence puis est jugée irrecevable par la Cour d’appel. L’associé exclu forme donc un pourvoi en cassation sur le fondement d’un recours pour excès de pouvoir du président de la juridiction de première instance ainsi que de la Cour d’appel.

Les juges de la Cour de cassation saisis à cette occasion ont dû déterminer si :

I. Sur la recevabilité du recours pour excès de pouvoir

Selon l’article 1843-4 du Code civil, le jugement du président du tribunal faisant droit ou non à la demande de désignation ou de remplacement de l’expert est insusceptible de recours. Cette absence de recours s’applique à toutes voies de recours y compris le pourvoi en cassation. Par exception, une solution prétorienne faisant l’objet d’une réaffirmation constante de la jurisprudence (Cass. Com. 15 mai 2012 n°11-12.999 et 11-17.866 ; Cass. 2e civ. 1er juin 2017 n°16-15.577) admet un recours-nullité en présence d’un excès de pouvoir du président du tribunal compétent. Toutefois, ce recours connait d’importantes incertitudes dans la mesure où la notion d’excès de pouvoir ne fait pas l’objet d’une définition stable en droit positif ce qui la rend malléable comme l’atteste la jurisprudence en la matière.

En l’espèce, l’associé exclu soulève ce recours-nullité en considérant que le jugement du président du tribunal ainsi que l’arrêt de la Cour d’appel sont constitutifs d’un excès de pouvoir.  La Cour de cassation rejette cependant le pourvoi en jugeant que « Ne constitue pas un excès de pouvoir l’inobservation, à la supposer établie, des conditions d’application de ce texte ».

Ce rejet était prévisible car il s’inscrit dans la droite ligne des solutions jurisprudentielles antérieures. En effet, dans plusieurs arrêts la Cour de cassation a refusé l’exercice d’un recours-nullité lorsque le président du tribunal rejette la demande de désignation d’un expert alors même que les conditions de l’article 1843-4 sont réunies (Cass. Com. 11 mars 2008 n°07-13189). De la même manière, le jugement ordonnant la désignation de l’expert alors que les conditions de l’article ne sont pas réunies ne caractérise pas non plus un excès de pouvoir (Cass. Com. 15 mai 2012 n°11-17.866 ; Cass. Com 12 avril 2016 n°14-26.555). Dans ces arrêts les juges ont décidé que, « à la supposer établie, l’inobservation par le président du tribunal des conditions d’application de l’article 1843-4 du Code civil ne constitue pas un excès de pouvoir » mais un mal-jugé par erreur de droit.

Cette solution est donc en tout point réaffirmée par le présent arrêt de sorte que le jugement du président du tribunal refusant la demande de remplacement de l’expert ne peut faire l’objet ni d’un appel ni d’un pourvoi en cassation et s’impose donc à l’associé exclu.

II.  Sur la conséquence de l’annulation du rapport de l’expert

Malgré la réaffirmation d’une jurisprudence constante concernant le recours pour excès de pouvoir, la Cour de cassation précise pour la première fois dans cet arrêt les conséquences de l’annulation du rapport de l’expert sur l’éventuel remplacement ou non de ce dernier.

Sur ce point, la jurisprudence a d’abord précisé que la mission de l’expert désigné en application de l’article 1843-4 du Code civil ne prend fin qu’avec le dépôt de son rapport dans lequel il procède à la fixation de la valeur des droits sociaux (Cass. Com. 26 mars 2013 n°12-10.144). Dès lors, l’estimation de la valeur des droits sociaux revêt, par principe, un caractère définitif qui prive l’associé exclu de tout droit de repentir.

Toutefois, la jurisprudence de la Cour de cassation a admis que le rapport de l’expert pouvait être annulé lorsqu’il est entaché d’une erreur (Cass. Com. 3 mai 2012, n°11-12.717) notamment lorsqu’il s’est grossièrement trompé dans l’évaluation des droits sociaux ou a outrepassé son mandat.

Partant, c’est sur la base de ce principe que l’associé exclu de la société civile a obtenu l’annulation du rapport d’expertise dans la mesure où l’expert a déterminé la valeur des droits sociaux sans tenir compte des dispositions contractuelles prévoyant des modalités particulières d’évaluation. En conséquence de cette nullité, l’associé a soulevé une demande de remplacement de l’expert devant le président du tribunal de grande instance.

Cette demande est rejetée par ce dernier qui précise dans un premier temps que la mission de l’expert était épuisée et que l’annulation du rapport ne saurait remettre en cause l’extinction de sa mission. Dès lors, la demande de remplacement aurait dû correspondre en une demande de désignation d’un nouvel expert.

Dans un second temps, il rappelle la restriction du champ d’application de l’article découlant de l’ordonnance du 31 juillet 2014. En effet, depuis cette ordonnance les cessions statutaires pour lesquelles la valeur des parts ou actions est déterminée ou déterminable (cessions résultant notamment de clauses statutaires d’exclusion ou de retrait) ne sont plus susceptibles de faire l’objet de l’expertise prévue à l’article 1843-4 du Code civil. Le président du tribunal a ainsi relevé que la valeur de remboursements des droits sociaux des associés exclus était déterminable de sorte que l’expertise n’était plus applicable même si cette expertise a été consentie à l’associé exclu en 2011.


En conclusion, il ressort de ces arrêts que l’annulation du rapport de l’expert désigné en application de l’article 1843-3 du Code civil n’est pas de nature à justifier le maintien de la mission de cet expert. Dans le cas où l’associé exclu souhaite obtenir une nouvelle expertise, il convient de demander la désignation d’un nouvel expert et non le remplacement du précédent. En outre, le jugement rejetant la demande de remplacement ne saurait être annulé sur le fondement du recours pour excès de pouvoir et s’impose donc à l’associé exclu dont les parts sociales seront finalement cédées à la valeur déterminée par la décision de l’Assemblée générale.


 

Benoît Lafourcade
Benoît LAFOURCADE Co-fondateur & avocat associé

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